L’intervention auprès d’enfants victimes d’agression sexuelle – Entrevue avec Martine Hébert, Ph. D.

Martine Hébert est professeure au département de sexologie de l’Université du Québec à Montréal et cotitulaire de la Chaire interuniversitaire Marie-Vincent. Ses intérêts de recherche portent, entre autres, sur les enfants victimes d’agression sexuelle et sur l’évaluation de programmes de prévention et d’intervention.
Myra G. Crevier – Quels sont les services offerts au Centre d’expertise Marie-Vincent?
Martine Hébert – Le Centre d’expertise Marie-Vincent offre un service spécialisé aux enfants de moins de douze ans ayant été victimes d’agression sexuelle. Ce Centre est l’un des rares centres d’appui aux enfants au Canada et le seul au Québec. Les enfants sont évalués par des intervenants formés et bénéficient d’un traitement reconnu efficace pour la gestion des symptômes post-traumatiques. Le Centre travaille de concert avec des policiers formés à effectuer des entrevues d’enquête, des pédiatres et les Centres jeunesse de la direction de la protection de la jeunesse (DPJ) afin d’offrir un service optimal aux enfants. De surcroît, les parents peuvent aussi profiter du soutien des intervenants.
M. G. C. – En quoi consiste le traitement développé et implanté à Marie-Vincent?
M.H. – Les interventions se basent sur un modèle de traitement de type cognitif comportemental orienté vers le trauma qui a été validé et implanté avec succès au Centre Marie-Vincent. La thérapie s’échelonne sur douze séances hebdomadaires de 90 minutes chacune. Les enfants avec des symptômes post-traumatiques bénéficient de plusieurs stratégies, soit l’enseignement de la relaxation, le recadrage de leurs pensées et de leurs peurs, la régulation des émotions et des comportements difficiles, l’éducation quant à la sexualité, l’enseignement d’habiletés d’affirmation et de protection de soi, afin de prévenir la revictimisation, et l’élaboration du récit de leur agression, c’est-à-dire que les enfants écrivent l’histoire de l’agression qu’ils pourront partager à leurs parents par la suite. De plus, les parents non agresseurs sont rencontrés individuellement ainsi qu’avec l’enfant afin d’être informés quant aux besoins de l’enfant et pour renforcer les pratiques parentales optimales. Les résultats de notre étude indiquent que l’approche permet de réduire les symptômes chez les enfants.
M. G. C. – Comment ces stratégies sont-elles adaptées pour les enfants de zéro à douze ans?
M.H. – Le langage et le format sont adaptés au stade développemental de l’enfant. Le récit de l’agression peut être raconté à l’aide de dessins, de courtes histoires ou sous forme d’entrevues. Les intervenants se doivent d’être créatifs dans leurs interventions. De surcroît, le travail avec les parents s’avère important afin de favoriser les habiletés relationnelles et de renforcer la relation d’attachement entre le parent et son enfant.
M. G. C. – Quels sont les défis particuliers quant au travail auprès d’enfants victimes d’agression sexuelle?
M.H. – À la suite du dévoilement de l’agression, plusieurs démarches majeures sont entamées, telles que l’enquête policière, l’évaluation médicale et le signalement à la DPJ. L’enfant peut parfois être placé dans une famille d’accueil pour assurer sa sécurité. De plus, le dévoilement engendre souvent une onde de choc et une situation de crise qui peuvent mener à une détresse importante chez tous les membres de la famille.
M. G. C. – Existe-t-il des types d’agression ou des profils d’enfants victimes d’agression sexuelle qui influencent la façon dont il faut aborder le traitement?
M.H. – Les circonstances entourant l’agression sexuelle peuvent influencer les réactions développées par l’enfant, soit la relation avec l’agresseur, la fréquence des actes et l’utilisation de la force lors de l’agression. De plus, les ressources et les capacités de résilience de l’enfant ainsi que les réactions et le soutien de la famille modulent le développement de symptômes. Quant au sexe, les filles semblent rapporter et dévoiler plus fréquemment les agressions sexuelles et présentent davantage un état de stress post-traumatique. Le traitement se doit de rester flexible et adapté aux besoins des enfants en fonction de leur profil et de leur milieu. Il apparaît pertinent de considérer les capacités de résilience des enfants ainsi que le risque de revictimisation à d’autres étapes du développement, par exemple, la violence dans les relations amoureuses ultérieures.
M. G. C. – Qu’est ce qui serait particulièrement important à retenir?
M.H. – Le défi actuel concerne le dévoilement. La majorité des victimes demeurent dans le silence pendant plus de cinq ans avant de dévoiler l’agression sexuelle. Désormais, il existe des traitements efficaces. Nous nous devons d’outiller les parents, les adultes de l’entourage de l’enfant et les intervenants afin qu’ils parviennent à soutenir et à diriger ces enfants vers les services appropriés. Ces enfants peuvent s’en sortir s’ils bénéficient de services adaptés à leurs besoins.